Être ou ne pas être Charlie ou le bal des faux culs!
Ce dimanche 11 janvier 2015, la France
est devenue le centre du monde. Le centre du refus de la violence terroriste,
le centre de l’amour envers son prochain, le centre de la compassion envers les
victimes du terrorisme « djihadiste » en France, le centre de la
liberté d’expression et de l’indignation… sélective.
Faut-il s’expliquer et s’excuser à
l’avance de notre scepticisme à propos de cet élan de compassion, face à une
éventuelle récupération de cette union dans la douleur de la commémoration de
la mort de 17 personnes.
Est-il nécessaire de s’expliquer et
dire que non, on ne soutient pas le terrorisme, qu’on le condamne avec la
dernière force, que l’on se « désolidarise » (mais avons-nous été
solidaire un jour des assassins ? Pourquoi devrais-je me désolidariser
d’un acte que je réprouve ?). Puisqu’on me « somme » de le
faire, oui je ne me reconnais pas dans ces actes barbares d’exécution d’un
policier à terre, du meurtre d’une balle dans le dos d’une fonctionnaire de
police venue à la rescousse sur les lieux d’un accident de la route, du
massacre d’un groupe de charlots qui méritaient mon indignation pour les
caricatures du prophète d’un milliard et demi de musulmans et en aucun cas ce
qu’ils ont subit, de quatre civils innocents occis dans un « hypercasher »
dont le seul crime en plus d’être né dans la mauvaise communauté, fut de se
trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Non, je ne soutiens pas le
terrorisme aujourd’hui comme je ne l’ai pas soutenu hier en Irak, en Syrie, en
Lybie, mais aussi à Gaza face au terrorisme d’état du gouvernement israélien
actuel.
Je condamne tous les terrorismes qu’il
s’agisse du terrorisme « djihadiste », du terrorisme d’état, du
terrorisme d’extrême gauche, etc. A chaque fois que des innocents meurent par
la faute de puissants oppresseurs, je m’insurge. Mais je dois rester constant
dans mon « insurrection », je ne peux pas m’insurger de la mort de 17
personnes et ne pas l’être de la mort de 2000 personnes au Nigéria au même
moment juste parce que ça se passe loin de moi en Afrique et que ça touche des
noirs. Je ne peux pas m’indigner de la mort de 4 juifs dans un hypermarché
casher à Vincennes et ne pas m’indigner de la mort de 4 enfants jouant sur une
plage à Gaza juste parce que les premiers appartiennent à la « race des
élus » et pas les autres. Je ne peux pas ordonner le massacre de 2000
personnes cet été dans plusieurs quartiers de Gaza et venir participer à ce que
certains médias, notamment belges, ont déjà qualifié de « bal des
hypocrites ». Je ne peux pas museler la presse dans mon pays, fouetter les
bloggeurs sur la place publique, emprisonner des journalistes étrangers et
« battre le pavé » à Paris.
Des têtes couronnées et des chefs
d’état de plusieurs pays ont marché dans les rues de Paris et des millions de
français et des non français ont marché également dans plusieurs villes de
France et dans d’autres pays européens. Ils ont marché pour dénoncer le
terrorisme et défendre la Liberté meurtrie. Cependant, en tête de cortège se
trouvait celui qui, rien que cet été, a fait assassiner plus de 2000 personnes
dont la moitié d’enfants sans que cela n’émeuve personne. Se trouvait
également, jouant des coudes pour apparaître au premier plan de la photo,
l’ancien président français qui avait déclenché une guerre en Libye, et qui a
favorisé, indirectement certes, l’arrivée dans ce pays là des
« djihadistes » les plus dangereux en Afrique. S’y trouvaient encore,
de nombreux chefs d’état africains fossoyeurs dans leur pays de la liberté
d’expression et de la liberté tout court mais qui ont retrouvés sur les pavés
parisiens absolution et seconde virginité. On pourrait se demander ce qui les a
fait accourir si vite pour apporter leur soutien total et indéfectible à leur
« grand frère ». La crainte d’un coup d’état peut être…
Plus modestement de nombreux êtres
humains de partout dans le monde ont manifesté leur soutien aux êtres humains
lâchement assassinés. Cette émotion saine ne tenait pas compte de la
nationalité, de la religion ou de l’origine des victimes. C’était la somme de
l’expression d’une humanité individuelle qui s’est transformée en communion
autour des principes humanistes chers à ce pays et au monde. Les quelques
individus pour qui des intérêts économiques, géostratégiques ou idéologiques
sont plus importants que la vie humaine sacrée ne réussirons pas à briser cela.
L’humanité qui est en chacun de nous survivra à Bush, Sarkozy, Hollande,
Netanyahou, les Coulibaly, les Kouachi et les Merah. L’amour de son prochain prôné
par les différentes religions est plus fort que la haine et la division que
certains veulent semer entre nous.
Mais posons-nous la question qui a trotté
dans l’esprit de beaucoup d’entre nous au lendemain de ces funestes
jours : Suis-je Charlie ou ne le suis-je pas ?
Nous avons tous pris position en
mettant sur nos murs soit #JeSuisCharlie soit #JeNeSuisPasCharlie. Certains ont
osé #JeSuisCharlieCoulibaly jouant de la provocation à un moment où peut être
l’esprit n’était pas à l’humour noir. Certains se sont à la fois revendiqué
Charlie et pas Charlie rajoutant à la confusion.
Mais tout dépend ce qu’on entendait
par ces trois mots. Est-ce que cela veut dire que je partage le point de vue
des auteurs sur le fait de caricaturer ce qui pour beaucoup est sacré ?
Est-ce que cela veut dire que je leur reconnait le droit de le faire même si je
ne suis pas d’accord avec eux au nom de la liberté d’expression ? Que
personne ne devrait être tué pour du blasphème ? Que ce n’est pas à un individu
de rendre la justice divine ? Et si je mets #JeNeSuisPasCharlie ?
Est-ce que ça veut dire que je suis pour leur mort ? Où contre leurs idées
uniquement ? Derrière ces quelques mots chacun d’entre nous à voulu
exprimer son sentiment face à ces tragiques évènements et il ne faudrait pas le
juger pour son opinion surtout si l’on croit à la liberté d’expression.
L’opinion de chacun dépend de son parcours intellectuel, de sa culture générale
mais aussi de sa culture religieuse. Respectons là et débattons sans passion
pour échanger nos impressions dans la sérénité et le respect des uns et des autres.
Certains ont voulu me signaler où
l’ont fait parce que je n’étais pas d’accord avec eux ou que j’ai ris du trait
d’humour de Dieudonné sur ces massacres #JeSuisCharlieCoulibaly. Ils trouvaient
que ce n’était pas drôle, qu’il fallait que j’étouffe mon rire. Faut-il
« rire sous cape » ? Je n’ai pas le droit de trouver drôle
quelque chose qui me fait rire ? Ce serait de France que l’on nous
imposerait ce qui est drôle de ce qui ne l’est pas ? Et on enverrait une
police spéciale, la police de l’humour, arrêter les contrevenant fussent-ils à
l’autre bout du monde.
Oui, la France est devenue le centre
du monde et toutes les valeurs et les principes ont été définis, du moins
pendant ces quelques jours, depuis l’hexagone dans la twittosphère.
Qu’en est-il de la liberté
d’expression pour laquelle des millions sont sortis ce dimanche 11 janvier
2015 ? Qu’en est-il advenu du droit à la différence de penser de par le
monde ? De quel droit on sommerait une communauté de par le monde à se
désolidariser de ces massacres surtout s’ils n’ont jamais été solidaire ?
De quel droit un internaute insulterait un autre à l’autre bout du monde parce
qu’il ne pense pas comme lui ? Cet outil a permis de nous rapprocher mais
n’a pas permis que l’on s’écoute et que l’on partage nos différences.
La vraie question à se poser
c’est : qu’est ce qu’on fait maintenant ? Il y a eu un avant et un
après 11 janvier. Comme les choses ne seront plus comme avant on peut se
demander quelle sera la nature de nos rapports avec l’Occident. Il s’avère plus
que nécessaire que les intellectuels africains se saisissent du problème posé
par la violence terroriste et de la violence tout court, de la démocratie, de
la liberté d’expression pour que la définition de ces concepts ne nous soit pas
imposée d’ailleurs. Nous devons reconceptualiser ces termes au prisme de nos
principes et de nous valeurs culturelles à nous. Nous devrions par la suite
dans un dialogue constructif partager nos réflexions avec nos pairs occidentaux
dans le respect des opinions des uns et des autres. Nous aurions tout à y
gagner. Ces questions sont mondiales et non pas que françaises ou européennes.
Les victimes du terrorisme sont largement plus importantes dans le monde qu’en
Europe. Mais il semblerait que l‘impact des images de ces tueries à Paris a été
plus grand que celui de toutes les victimes de ces dernières années de part le
monde. Il faudrait que l’on comprenne que cela fait le jeu des terroristes qui
multiplierons ce genre d’attaques parce que justement cela choque l’opinion et
que ça fait parler de leur « cause ». La réponse au terrorisme doit
être ferme. Elle doit être politique, économique et pourquoi pas militaire.
Elle ne devrait en aucun cas être médiatique.