lundi 18 janvier 2016

Entre Opportunisme Politique et Populisme


 Depuis la campagne des législatives de 2013, le paysage politique Djiboutien a vu l’apparition d’une nouvelle catégorie de passionnés. Cette « nébuleuse politique », allant du militant de partis à l’internaute en mal de reconnaissance sur la toile qu’il soit exilé ou qu’il réside dans le pays même, est un phénomène dont on peut se féliciter…. ou pas.
Cela manifeste, d’abord, d’une certaine maturité politique des Djiboutiens et il y a lieu de s’en réjouir. Si les analyses sont parfois creuses et superficielles (à part quelques exceptions notables), il n’en demeure pas moins que l’on est à l’aube d’une nouvelle ère dans l’implication du citoyen dans la participation à la « Res publica».
Cette prise de conscience politique n’est pas l’exclusivité des Djiboutiens, elle est structurelle car il semblerait que cela soit dû à l’explosion des outils des nouvelles technologies et des médias qui ont rendu l’information plus accessible en un temps record.  Elle est même conjoncturelle puisqu’on la rencontre partout dans le monde et notamment au Moyen Orient où elle s’est manifestée à travers les révolutions des « printemps arabes » il y a quelques années.
Ainsi, en Europe, on s’est indigné plus facilement de la noyade d’un petit Syrien parce que la photo, par sa beauté (désolé de le dire), a su restituer le drame dans toute sa cruauté (crue) et accroître dans nos cœurs de parents l’émotion que devrait susciter la mort d’un enfant de 4 ans. L’image a été omniprésente dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans les polémiques qu’elle a crée sur la responsabilité de l’Europe quant à la protection des réfugiés.
Mais cette photo a été dans toutes les Unes pendant cette semaine parce que ce petit garçon était étranger. Cette photo aurait certainement été interdite s’il avait été Français, Allemand ou Italien. Face à ce type de drame, nous ne sommes plus insensibles ou indifférents. Pourtant, ce type d’image heurte la sensibilité et contrevient à la loi sur les publications interdites qui stipule que « Le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelles ou l'image de cette victime lorsqu'elle est identifiable est puni par la loi ».
La photographie du petit Aylan a su attirer l’attention des médias et des internautes avant d’être honteusement récupérée par les politiques en Occident (ceux là même qui étaient favorable au bombardement de la Syrie). Cette image a marqué les esprits par la superposition du bleu de son short sur le rouge du Tee Shirt sur fond de la couleur ocre du sable de la plage où les espoirs de sa famille et sa petite vie sont venus s’échouer. L’image est d’une dureté intense et a heurté la sensibilité des Européens en réveillant en eux une humanité dissoute dans leur morale matérialiste.
Dans notre pays, sur le terrain rocailleux de Buldhuqo, certains ont voulu imiter le procédé. Ils ont décidé, lors d’une réunion de leur rédaction du journal mal nommé « L’Aurore » (j’imagine qu’ils ont tenu cette réunion sinon c’est plus grave que ça ne paraît), de transposer le procédé en l’applicant à la réalité djiboutienne. Ils n’ont pas hésité à poster sur les publications des pages de leurs réseaux sociaux et sur leur journal politique, la photo du cadavre d’une petite fille de 6 ans.
Sauf que dans notre contexte, l’effet produit est encore plus terrible. Tous ceux qui ont eu ce journal entre leurs mains n’ont pas eu le courage de regarder le cadavre de cette enfant dans les yeux. Je n’ose imaginer la douleur des parents voyant la photographie de la dépouille de leur enfant sur ces publications. La récupération politique du malheur des honnêtes gens a des limites. Nos valeurs ne sont pas celles de l’Occident qui est un modèle pour plusieurs des « opposants ». Nous n’exposons pas les restes de nos enfants pour monter les Djiboutiens les uns contre les autres. Cet opportunisme politique est abject. Soumaya ne mérite pas ça.
Au moment où j’ai commencé à écrire ce texte, aucun des instigateurs n’était inquiété. Depuis, la justice s’est saisie de l’affaire.
La ligne éditoriale de ce journal est purement populiste et j’ai voulu ce matin, creuser le concept. J’ai fait quelques recherches et ai voulu partager cela avec le lecteur. Puis j’ai voulu comprendre les motivations des personnes qui ont publiées ces photographies. Poussant le raisonnement jusqu’à l’absurde, j’ai essayé de me mettre dans leur esprit.
Le populisme désigne un type de discours politique qui fait appel faussement aux intérêts du «peuple» (d’où son nom) et prône à son recours. Il oppose les intérêts du peuple qu’il feint de défendre avec ceux d’une supposé élite qu'il prend pour cible de ses critiques et qu’il accuse de tous les maux dont souffre le peuple. Il est souvent incarné par une figure charismatique et soutenu par un parti acquis à ce corpus idéologique.
Daniele Albertazzi et Duncan McDonnell définissent le populisme comme une idéologie qui « oppose un peuple vertueux et homogène à un ensemble d'élites et autres groupes d'intérêts particuliers de la société, accusés de priver (ou tenter de priver) le peuple souverain de ses droits, de ses biens, de son identité, et de sa liberté d'expression ».
Parce qu'ils détiennent un pouvoir, le populisme attribue « aux élites » la responsabilité des maux de la société : ces groupes chercheraient la satisfaction de leurs intérêts propres et trahiraient les intérêts de la plus grande partie de la population. Les populistes proposent donc de retirer l'appareil d'Etat des mains de ces élites qui seraient égoïstes, voire criminelles, pour le « mettre au service du peuple ». Afin de remédier à cette situation, le dirigeant populiste propose des solutions qui appellent au bon sens populaire et à la simplicité. Ces solutions qu'il propose sont présentées comme applicables immédiatement et émanant d'une opinion publique qu'il présente comme monolithique, c'est-à-dire unanimement consentante. Les populistes critiquent généralement les milieux d'argent ou une minorité quelconque (ethnique, politique, administrative, etc.), accusés de s'être accaparé le pouvoir ; pour y faire face, ils leur opposent les aspirations du peuple, qu'ils estiment majoritairement différent.
Ainsi, lorsqu’on lit le contenu du journal, on retrouve tous ces éléments qui font appel à l’émotionnel et jamais à l’analyse rationnelle. Il n’y a que contre-vérités et manipulations. Sur une publication de 12 pages du numéro 5 de « L’Aurore » daté du 11 janvier, la moitié relate le déroulement fantasmé des événements de Buldhuqo. L’autre moitié se divise entre l’appel du pied désespéré à la « Communauté internationale », une « Lettre ouverte » fictive relatant le témoignage d’un salarié et le mensonge sur la Convention de l’UMP qui aurait fait un « flop » et le « régime qui aurait perdu Bruxelles après Londres ».
De la lecture de ce numéro, on en sort extrêmement déçu. Aucune proposition, aucun programme politique ni même de projet de société. Aucune critique objective étayée avec des faits et des chiffres à l’appui. Au lieu de cela que des invectives, des exagérations et des contre-vérités. Beaucoup de simples citoyens auraient été fiers de lire dans les publications de cette opposition reconnue et respectée, un contenu qui n’insulte pas leur intelligence.
Faut-il mettre cela sur le compte du manque d’expérience politique de cette opposition. L’amateurisme en politique mène à la démagogie et au populisme. Mon post n’a pas pour but de discréditer l’opposition djiboutienne que je respecte puisqu’elle compte parmi elle des représentants librement choisis par le peuple lors des élections des législatives de 2013. D’ailleurs, il nous faut une opposition et il faut qu’elle demeure pour que, dans le débat d’idée avec la majorité, puissent émerger des propositions consensuelles et constructives.
Nous avons besoin d’une société où le débat contradictoire démocratique fasse avancer nos aspirations vers un avenir empreint de paix et de sérénité. Que toutes les parties échangent dans le respect des règles républicaines et dans l’observation stricte des préceptes légaux. Que les incompréhensions et les litiges soient réglés devant les tribunaux et devant notre propres procédures coutumières pour sauvegarder cette paix sociale que tout le monde semble prendre pour acquis mais qui est fragile et qu’il faut préserver.
Souvent silencieux face aux écrits des uns et des autres par soucis d’apaisement et par respect du devoir de réserve, j’ai décidé de réagir cette fois ci face à l’ignominie que représentait la couverture de ce journal. Nous ne pouvons pas être éternellement les otages de ceux qui ont confisqués la parole dans l’espace publique et qui ont décidés de monter les Djiboutiens les uns contre les autres. Cette catégorie de la population que sont les intellectuels doit prendre part au débat et ne pas accepter de laisser l’espace libre à la pensée indécente. La pensée vertueuse et l’esprit mesuré, circonspect et réfléchi doivent faire face à la pensée aventureuse et à l’esprit sombre. Nous devrions tous vouloir le bien pour notre pays et pour nos concitoyens et cela doit passer par le respect mutuel, la compréhension et l’empathie.
J’espère ne pas avoir heurté qui que ce soit dans mes écrits, ce n’était pas le but.

Abdourahman H. DJAMA